Article de l'Association pour une infrastructure de l'information libre (FFII) : URL originale
Un brevet est un droit pour avoir un monopole sur une invention. Un inventeur potentiel indique la portée des activités desquelles il veut exclure ses confrères (les réclamations) et la soumet à l'office des brevets, qui évalue si ces réclamations dépeignent une invention au sens de la loi et si l'invention est correctement révélée et applicable industriellement (examen formel). Quelques offices des brevets examineront par ailleurs si l'invention est nouvelle et non-évidente (examen substantiel). Si l'application passe les obstacles de l'examen, l'office des brevets accorde au demandeur le droit exclusif de produire et commercialiser l'invention pendant une période de 20 ans.
La programmation est comparable à l'écriture de symphonies. Quand un programmeur écrit un logiciel, il combine des milliers d'idées (des algorithmes ou des règles de calcul) qui constituent une oeuvre sous droits d'auteur. Généralement, certaines des idées dans l'oeuvre du programmeur seront nouvelles et non-évidentes selon les normes ( de bas niveau intrinsèquement) du système de brevets. Quand toutes ces nouvelles idées sont brevetées, il devient impossible d'écrire le logiciel sans enfreindre des brevets. Les réclamations de copyright des auteurs de logiciel sont de ce fait expropriées ; ils vivent sous la menace permanente d'un chantage de la part des détenteurs de larges portefeuilles de brevets. En conséquence, moins de logiciels sont écrits et peu de nouvelles idées apparaissent.
Le coeur du droit des brevets en Europe est la Convention sur le brevet européen de 1973. Dans son article 52, la Convention stipule que les découvertes, les théories scientifiques, les méthodes mathématiques, les règles et les méthodes intellectuelles, les méthodes d'affaires et les programmes d'ordinateur ne sont pas des inventions au sens du droit des brevets. Il y a une raison àça : dans la tradition du droit, les brevets ont été créés pour des dispositifs physiques et des réalisations particulières, tandis que les brevets sur le logiciel couvrent des idées abstraites. Lorsque les brevets s'appliquent au logiciel, le résultat est tel qu'au lieu de faire breveter un piège à rat spécifique, vous faites breveter tous les "moyens d'attraper des mammifères" (ou, pour un exemple concret, tout " moyen d'attraper des données dans un environnement d'émulation").
En 1986, l'Office européen des brevets (OEB) a commencé à accorder des brevets sur des programmes d'ordinateur, en violation de la CBE, autorisant des réclamations sur le logiciel se distinguant seulement par l'utilisation de la formulation suivante :
"un système et une méthode pour utiliser un ordinateur, caractérisé par ..." (revendications de procédé)
Non réprimé dans cette pratique, l'OEB a commencé en 1998 à accorder des réclamations qui ont littéralement contredit le loi, autorisant des brevets sur du logiciel pour les réclamations employant la formulation suivante :
"un programme d'ordinateur, caractérisé par ..." (revendication de programmes)
Le nombre de brevets logiciels que l'OEB a accordés de cette manière est estimé à plus de 30 000 et cette pratique s'est accrue à un taux de 3 000 par an.
La plupart de ces brevets sont étendus et triviaux et pas sensiblement différents des types de brevets correspondants que les USA et le Japon avaient autorisés.
Étant donné les conséquences préjudiciables de cette pratique, pour ne pas mentionner son illégalité, on pourrait s'attendre à ce que l'OEB soit pressé d'accorder sa pratique avec la lettre et l'esprit de la loi. Au lieu de cela, en 1997, l'establishment des brevets cotoyant l'Office européen des brevets a commencé à tenter de récrire la loi pour légaliser leurs pratiques accordant des brevets sur le logiciel. Ce processus a été présenté comme un effort pour "clarifier" la distinction entre les réclamations valides et invalides concernant les logiciels et pour soi-disant s'assurer que les réclamations sur "le logiciel pur" ne seraient pas possibles -- mais c'est en fait un véritable effort pour permettre au logiciel en tant que tel d'être légalement breveté .
En 2000, ce groupe de professionnels des brevets, composé d'avocats des brevets appartenant aux gouvernements (au Conseil d'administration) et à de grandes entreprises (au Comité consultatif permanent) et de leurs collègues de la Commission européenne (le groupe "Propriété industrielle" à la Direction du Marché intérieur, alors dirigée par le commissaire Mario Monti)) a essayé de supprimer toutes les exclusions énumérées à l'article 52 de la Convention sur le brevet européen . En raison de la résistance publique qu'ils n'avaient apparemment pas prévue, cette tentative a échoué.
En 2002, la Direction du Marché intérieur de la Commission européenne(dirigé par le successeur de Monti, Frits Bolkestein) a soumis la proposition de directive 2002/0047 "sur la brevetabilité des inventions mises en oeuvre par ordinateur." On a prétendu que la directive avait pour objectifs d'harmoniser des lois des États membres et de clarifier quelques détails dans le but d'empêcher les excès de l'OEB. Cependant, une lecture directe de la formulation et de la terminologie trompeuses de la directive, indique que la proposition est en fait conçue pour codifier la brevetabilité illimitée telle que pratiquée par l'OEB.
Des petites et moyennes entreprises et des activistes venus de toute l'Europe, coordonnés par l'Association pour une infrastructure de l'information libre (FFII), une association sans but lucratif basée en Allemagne, ont publié des communiqués de presse, organisé des pétitions, conduit un lobbying intense, entrepris des manifestations et sont parvenus à bien faire comprendre aux députés européens l'importance de la décision en dépit de sa nature technique et de la façon trompeuse et fallacieuse avec laquelle elle était présentée.
Le 24 septembre 2003, le Parlement européen a voté pour incorporer un ensemble d'amendements à la directive permettant d'accomplir les objectifs que l'on avait proclamé vouloir atteindre : clarifier et réaffirmer la non brevetabilité de la logique de programmation et des méthodes affaires et confirmer la liberté de publication et d'interopérabilité.
Selon les procédures de l'Union Européenne, la proposition amendée est ensuite examinée par le Conseil des ministres. Au sein du Conseil, le "Groupe de travail sur la Propriété intellectuelle (Brevets)" en était responsable. Ce groupe se compose exactement des mêmes membres que le Conseil d'administration de l'Office européen des brevets : des administrateurs de brevets des gouvernements nationaux.
Après plusieurs mois de négociations secrètes, le "Groupe de travail" a produit un document de "compromis" qui a éliminé les amendements du Parlement et a explicitement rendu brevetables les programmes d'ordinateur, les structures de données et les descriptions de procédé . L'accès aux versions de ce document a été refusé jusqu'à la toute dernière minute "en raison de la nature sensible des négociations et de l'absence d'intérêt public supérieur."
Le 18 mai 2004, le Conseil a fait quelques amendements cosmétiques au document et l'a approuvé par une courte majorité en dépit des déclarations d'intentions d'un certain nombre de pays de suivre l'Allemagne en promettant de voter contre le texte. Dans cette session, les Néérlandais ont soutenu le document tout en admettant qu'il pourrait être problématique ; l'Allemagne a prétendu être satisfaite par un amendement dénué de sens ; et le commissaire Frits Bolkestein a inséré un amendement à l'article 4 qui, a-t-il déclaré, rendait clairement le logiciel non brevetable, mais dont la formultion ne faisait en fait que réaffirmer une terminologie trompeuse, alors qu'il ne mentionnait pas qu'ailleurs dans la proposition l'article 5 stipulait exactement l'inverse . (À la conférence de presse qui a suivi le vote du Conseil, il n'a pas réussi à donner un seul exemple de logiciel qui ne serait pas brevetable en suivant la proposition.) Le vote du Conseil était également frappant par la manière avec laquelle la présidence irlandaise a ardemment poussé le Danemark à donner ses voix, grâce auxquelles la courte majorité a été atteinte.
Après quelques corrections et traductions mineures, on s'attend à ce que le Conseil approuve officiellement la proposition en juillet 2004. Il retournera alors au Parlement européen pour une autre lecture. À ce stade, le Parlement peut le rejeter tout à fait, l'accepter tel qu'il est, ou insister sur l'ensemble d'amendements que le Conseil a éliminés.