Fausses limites à la brevetabilité dans la proposition du Conseil

Article de l'Association pour une infrastructure de l'information libre (FFII) : URL originale

Nous allons essayer d'élaborer une vue d'ensemble des astuces trompeuses utilisées dans la proposition du Conseil du 18 mai 2004 sur les brevets logiciels.
Le subterfuge rhétorique le plus fréquemment utilisé dans le document du Conseil se déroule ainsi :
[A] n'est brevetable que si [condition B] est remplie.

mais, si on examine ceci minutieusement, il s'avère que la condition B est toujours remplie.

En raison des contraintes de temps et d'espace, nous n'avons pris dans le texte du Conseil que les dispositions les plus souvent discutées pour illustrer ce point. D'autres exemples sont disponibles via la page d'analyse.

Le texte:
Une revendication pour un programme d'ordinateur, seul ou sur support, n'est autorisée que si ce programme, lorsqu'il est chargé et exécuté dans un ordinateur, un réseau informatique programmé ou un autre appareil programmable, met en oeuvre un produit ou un procédé revendiqué dans la même demande de brevet, conformément au paragraphe 1.
:
La condition "que si" est toujours vraie. Tout programme d'ordinateur peut être revendiqué en tant que "produit ou procédé", auquel cas la revendication de programme s'applique également au programme en tant que tel, "seul ou sur support".

Plus précisément, une revendication de la forme "un programme, caractérisé par le fait qu'il [fasse certaines choses]" sera admise et cette revendication couvrira une infinité de programmes développés séparément sous le régime des droits d'auteur.

Le programme selon cette disposition n'a même pas besoin d'être nouveau ou inventif. Il peut être une description conventionnelle d'un nouveau procédé. Dès que quelqu'un invente un nouveau procédé chimique, il peut revendiquer la logique qui le décrit sous forme de programme (ex: A+B=C) et peut interdire la publication de tout programme qui utiliserait cette logique ainsi que toute utilisation dans n'importe quel but, y compris la simulation sur un ordinateur générique.

Cette disposition est la pièce centrale dans le document du Conseil et elle soulève des doutes sérieux quant aux compétences du "Groupe de travail" même dans son domaine restreint du droit des brevets. Voir notre analyse pour plus de détails.

Le texte:
Un programme d'ordinateur en tant que tel ne peut constituer une invention brevetable.
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Cette disposition est en directe contradiction avec l'article 5(2).

Elle a été introduite durant la session du conseil par le Commissaire Bolkestein dans une tentative fructueuse de tromper les fonctionnaires ministériels présents à la réunion.

Le lecteur naïf croira que l'article signifie que le travail d'un programmeur ne peut pas tomber sous le joug de brevets. En fait, la ministre allemande de la justice, Brigitte Zypries, a semblé croire cette interprétation, lorsqu'elle l'a utilisée pour dissiper les craintes de programmeurs dans un échange sur internet ("chat") dix jours après la session du Conseil.

Le lecteur avisé comprend que cette phrase signifie l'inverse de ce que Zyppries et les ministres des autres grouvernements ont cru. L'article 52 de la CBE n'est pas réaffirmé mais perd tout son sens par cette clause.

Il est impossible que les programmes d'ordinateurs puissent être revendicables (article 5(2)) et non brevetables (article 4 bis 1) en même temps. Celui qui s'interroge pour interpréter la loi doit trouver un moyen de sortir de cette contradiction. Et il peut trouver ce moyen dans la clause suivante.

Le texte:
Une invention mise en oeuvre par ordinateur n'est pas considérée comme apportant une contribution technique simplement parce qu'elle implique l'utilisation d'un ordinateur, d'un réseau ou d'un autre appareil programmable. En conséquence, ne sont pas brevetables les inventions consistant en des programmes d'ordinateur, qu'ils soient exprimés en code source, en code objet ou sous toute autre forme, qui mettent en oeuvre des méthodes pour l'exercice d'activités économiques, des méthodes mathématiques ou d'autres méthodes, si ces inventions ne produisent pas d'effets techniques au-delà des interactions physiques normales entre un programme et l'ordinateur, le réseau ou un autre appareil programmable sur lequel celui-ci est exécuté.
:
Ici, Bolkestein a inséré une sous-clause redondante : "qu'ils soient exprimés en code source, en code objet ou sous toute autre forme". Cette clause est dénuée de sens car aucun déposant de brevet ne voudrait revendiquer un programme dans des termes aussi étroits que le "code" particulier d'un programmeur isolé. Une revendication aussi étroite ne vaudrait pas le prix d'un dépôt de brevet et ne susciterait aucune protestation de la part de la communauté informatique. La seule raison pour laquelle Bolkestein a inséré cette sous-clause était de suggérer une interprétation pour la clause 4 bis (1), qui à son tour interprète l'article 52 de la CBE. Selon cette interprétation, le but de l'article 52 était seulement d'exclure certaines sortes de revendications étroites imaginaires que personne n'a jamais appliquées et dont personne ne s'est jamais soucié. Cette interprétation est en contradiction avec la signification claire de l'article 52 de la CBE tel que les cours de brevets l'ont généralement compris et elle est inadmissible selon la méthodologie habituelle dans l'interprétation des lois et traités.

La formulation "interactions physiques normales entre un programme et l'ordinateur" veut à peu près dire la même chose que "interactions physiques normales entre une recette et un plat cuisiné" : rien ! C'est une formule magique dont l'utilisation ne peut être déduite que des décisions récentes de l'OEB, dans lesquelles elle a servi à justifier l'octroi de brevets sur des règles de calcul géométrique à IBM. Dans le cas présent, selon l'OEB, les "effets techniques au-delà..." consistent dans l'économie d'espace sur l'écran d'ordinateur. Deux ans plus tard, l'OEB lui-même soulignait que cette interprétation était déroutante mais nécessaire pour des raisons politiques :

This scheme makes no mention of the "further technical effect" discussed in T1173/97. There is no need to consider this concept in examination, and it is preferred not to do so for the following reasons: firstly, it is confusing to both examiners and applicants; secondly, the only apparent reason for distinguishing "technical effect" from "further technical effect" in the decision was because of the presence of "programs for computers" in the list of exclusions under Article 52(2) EPC. If, as is to be anticipated, this element is dropped from the list by the Diplomatic Conference, there will no longer be any basis for such a distinction. It is to be inferred that the BoA would have preferred to be able to say that no computer-implemented invention is excluded from patentability by the provisions of Articles 52(2) and (3) EPC.

Il faut noter que le Groupe de travail du Conseil a rejeté l'article 4 bis du Parlement, qui aurait aidéà attribuer un sens plus restrictif à la formulation de l'OEB, en s'appuyant sur une récente décision de la cour allemande qui a considéré que l'économie de ressources informatiques ne formait pas une "contribution technique", sinon pratiquement toutes les méthodes d'affaires mises en oeuvre par ordinateur deviendraient sujettes à la brevetabilité. Il est clair que le Groupe de travail du Conseil veut rendre brevetable les algorithmes et les méthodes d'affaires "mis en oeuvre par ordinateur" conformément aux pratiques récentes de l'OEB.

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