08/02/1998 - 21/04/1998
La Langue des Anges
Heureux celui qui sait le langage des Anges
Car il connaît leur langue, et mieux encor, par coeur,
Il connaît la douceur de leurs lèvres en fleur :
Heureux celui qui sait les lèvres bleues d'une Ange !
Bien heureux celui qui, d'un doux baiser, mélange
Son sourire innocent, aux lèvres du bonheur ;
Car il connaît la plus exquise des saveurs :
Bien heureux celui qui sait embrasser une Ange.
Toutes les Anges ont ce suprême savoir
Qui vous change en or blanc les désirs les plus noirs ;
Elles ont suspendu tout au bout de leur lèvres
Des rayons de lune et l'esquisse du soleil
Et j'aimerais goûter à ce baiser d'orfèvre
En trouvant près de moi une Ange à mon réveil.
08/02/98
Le Choeur des Anges
On prend souvent les Anges pour des messagers
Alors qu'ils sont bien plus encor les paroliers
De ces chansons d'amour à la mélodie bleue
Qui sont pourtant du désespoir à mille lieues
Les Hommes sont habiles pour chanter sans fin
Le triste Amour impossible et bien souvent vain
Mais seule une Ange sait chanter le bel Amour
Paisible et doux heureux et chaud et pour toujours
Écoutez le à l'horizon le choeur s'élève
Et sa chaleur vient envahir le corps entier
Ressentez-vous en vous voguer sa douce sève
Qui entre vos ventricules vient naviguer ?
14/02/98
Le Sexe des Anges
Si les Anges n'ont qu'un seul sexe,
C'est qu'ils ont sûrement compris !
Mais elle n'est pas bien complexe,
La Vérité, je vous le dis :
C'est qu'avant de pouvoir aimer
Et avant de dire je t'aime
À l'Ange du sexe opposé,
Il faut d'abord s'aimer soi-même.
14/02/98
L'Amour des Anges
Les Anges s'aiment
Car il n'existe pas d'autre choix
Les Anges s'aiment
Car ils ne peuvent que s'aimer
14/02/98
Le Temps des Anges
Et le Temps n'a plus aucune emprise sur les Anges
Elles échappent à Son règne inventé
Puisqu'Elles connaissent l'Éternité
Pour Elles un seul instant se change
En milliers, en millions d'années
Plus de signification
Dans aucune invention
Trop imaginée
Les jours s'échangent
Filament
Du Temps
Ange
15/02/98
L'Élégie des Anges (d'après la 1ère Élégie de Duino, Rainer Marie Rilke)
Qui donc, si je criais, m'entendrait parmi les
Hiérarchie des Anges ? Et même si l'un d'eux,
Me prenait sur son coeur, soudain daignant m'aimer :
Je succomberais, mort, en réalisant mieux
De son existence, l'immense intensité.
Car le Beau n'est-il pas juste un premier degré
Dans le terrible effroi ? À peine pouvons-nous
Supporter cette peur ; et s'il est admiré,
C'est que le Beau néglige avec dédain de nous
Anéantir, ainsi : Tout Ange est effrayant !
Je contiens donc mon cri, en sanglots, refoulant,
Hélas quel heureux recours avons-nous enfin ?
Ni les Anges bien sûr, ni les êtres humains,
Même les animaux savent par leur instinct
Que nous vivons ici sans bien savoir comment
Ni où est notre place en ce monde inquiétant.
Oh ! il nous reste bien un arbre et la colline
Ou une trop fidèle habitude d'hier
Qui se plaît bien en nous, dont on est un peu fier.
Et la nuit, ô la nuit ! La nuit est si divine
Lorsque le vent, porteur d'immensité, câline
Nos visages offerts à l'espace infini.
Il nous reste la nuit, amante désirée,
Décevante en douceur, qui cause tant d'ennuis
Aux coeurs solitaires, si seuls avec leur nuit.
Est-elle plus légère au amants ? Méritée ?
Hélas elle ne fait que masquer sous son loup
Leur destin sans appel : pauvres amoureux fous !
Ne le savais-tu pas ? Jette hors de tes bras
Le vide vers l'air pur que nous tous respirons ;
Peut-être les oiseaux, puisqu'ils volaient plus bas,
Pouvaient sentir l'espace assez vaste. Enfin bon !
Je l'admets : les printemps avaient besoin de toi.
Et maintes étoiles s'attendaient - à quoi bon ! -
À - pauvres naïves ! - être perçues par toi.
Voici que s'approchait, et en se soulevant,
La vague du passé, ou que, sur ton passage
Volait soudain un son, violon s'abandonnant.
Mais tout cela était mission ou bien message !
Mais en vins-tu à bout ? N'y eut-il pas toujours
En toi la distraction de l'attente espérée,
Comme si tout t'annonçait une bien aimée ?
(Où veux-tu l'abriter, alors que sans détour
Les plus grandes pensées entrent, sortent, toujours,
Et s'attardent en toi, quand la nuit est tombée ?)
Mais alors, si, encor, ton âme est nostalgique,
Chante les amantes : il est loin d'être assez
Immortel, sois-en sûr, leur sentiment loué.
Alors célèbre les - tu les envies - tragiques
Délaissées, si belles et bien plus amoureuses
Qu'une amante apaisée dont les envies sont creuses.
Ô ne cesse jamais de chanter à ces Anges
Encore et toujours l'inaccessible louange ;
Pense que le héros est toujours éternel
Que sa chute même a un goût artificiel :
Subterfuge qui est sa dernière naissance.
Mais les amantes ! Non ! La nature épuisée
Reprend à jamais en son sein leur existence,
Comme si elle était incapable ou lassée
De réussir deux fois pareille création.
As-tu de Gaspara, bien chanté la chanson
Assez pour que chaque ingénue, abandonnée,
Puisse exalter l'exemple d'une telle amante
Éprouvant le désir, de n'être différente,
D'enfin lui ressembler, Stampa la délaissée !
Et ces douleurs sans âge ô si immémoriales
Ne vont-elles enfin devenir plus fécondes ?
N'est-il pas temps, pour nous, qui aimons en ce monde,
D'enfin nous libérer dans l'envolée nuptiale
De cet objet aimé, ô vainqueurs frémissant :
Oui tout comme le trait vainc la corde pour être
Concentré dans le bond, plus qu'il ne pourrait être.
Car nulle part il n'est d'arrêt, je te l'apprends.
Des voix, des voix ! Écoute à ton aise mon coeur,
Tel jadis seul un saint sut assez écouter :
Au point que cet appel gigantesque du choeur
Le soulevait du sol ; mais lui, agenouillé,
Restait inébranlable et ainsi écoutant.
Non que tu ne puisses supporter cette voix
Si divine il s'en faut ! Plutôt écoute en toi
Le souffle de l'espace et pense qu'il est fait
De silence et bien sûr sens monter la rumeur
De tous ces jeunes morts, sens toute leur grandeur.
Qu'attendent-ils de moi ? Avec douceur je dois
Tous les libérer de ce semblant d'injustice,
Qui gêne leurs esprits, un tant soit peu, parfois,
Dans leur mouvement pur et parfaitement lisse.
Certes il est très étrange, horrible et effrayant
De ne plus habiter la terre où l'on est né
Et de se défaire d'usages dont souvent
On venait à peine d'apprendre à s'habituer,
Et de ne plus donner aux roses du matin
Ni aux choses - chacune était une promesse -
La signification de l'avenir humain ;
De n'être plus ce qu'on était dans la tristesse
Emplie d'angoisse lorsqu'on se lève au matin,
Enfin d'abandonner, jusqu'à son propre nom,
Comme un jouet brisé, comme par maladresse.
Étrange de ne plus souhaiter les désirs.
Étrange de revoir ce qui était lié
Se mettre à flotter, libre et soudain détaché
Dans l'espace infini. Étrange de mourir.
Mourir est plein de peine : il y a tellement
À trouver à nouveau pour sentir peu à peu
Un peu l'Éternité. Erreur pour nous vivants
D'avoir de trop fortes destinations à nos yeux.
Les anges - paraît-il - souvent ne sauraient pas
Si ils passent parmi des vivants ou des morts.
Car l'éternel courant, là-haut et ici-bas,
Entraîne enfants, vieillards : qu'importe l'âge encor !
Et dans les deux règnes, il domine leurs voix.
Gardons-nous de plaindre ceux qui meurent jeunes
Car ils peuvent encor se détacher des lèvres
De la terre, tout comme un enfant que l'on sèvre.
Prenons-les pour guides, ceux qui sont morts si jeunes,
Car ils n'ont plus besoin de nous, non plus du tout,
Mais nous, qui aimons tant déchiffrer les mystères
Nous pour qui un progrès bienheureux se génère
Et naît souvent du deuil, pourrions-nous quant à nous
Être et vivre sans eux ? Car pour pleurer Linos
Une musique osa, pour la première fois
Pénétrer l'inanimé, comme on croque un os.
Si bien qu'alors l'espace effrayé sans son roi,
Connut finalement la vibration heureuse
Qui depuis nous entraîne et console et nous aide.
Les anges pouvaient-ils trouver plus harmonieuse
Élégie que ne fit pour eux l'ancien aède ?
19/02/98
L'Être des Anges (d'après la 2ème Élégie de Duino, Rainer Marie Rilke)
Tout ange est effrayant. Pourtant malheur à moi !
Mon âme vous invoque oiseaux presque mortels,
Sachant qui vous êtes ! Rien n'est comme autrefois
Où vous étiez même le guide lumineux.
S'il venait maintenant, cet Archange immortel,
S'il descendait d'un pas, ce serait dangereux :
Dans son élan vers lui, alors le battement
De notre propre coeur abattrait violemment,
Aveuglant d'intensité, chacun d'entre nous.
J'ose enfin poser la question : qui êtes vous ?
Perfections premières, enfants privilégiés
De toute la création, lignes de hauteurs,
Arrêtes aux rougeurs d'aube du Tout créé,
- Pollen puissant de la divinité en fleur,
Articulations de lumière, couloirs,
Escaliers, trônes, espaces faits d'essence,
Boucliers de félicité, tumultes noirs
D'orageuse extase et soudain, si l'on y pense,
Tant isolés, miroirs, qui épanchent à flots
Leur si grande beauté tellement qu'ils y nagent
Oui leur propre beauté, ils l'épanchent à flots
Pour la reprendre après dans leur propre visage.
Car, pour nous toute sensation est dispersion
Hélas ! nous nous exhalons et nous dissipons ;
Et d'un flamboiement à un autre flamboiement
Nous donnons chaque fois un plus faible parfum.
On nous dit bien parfois : tu passes dans mon sang,
Le printemps s'emplit de toi, tel de mie le pain...
Qu'importe ! ce quelqu'un ne peut nous retenir,
On disparaît en lui et autour aussi bien.
Mais ceux là, qui sont beaux, ô qui donc les retient ?
Incessamment l'apparence dans leur visage
Se lève et puis s'en va. Tout comme la rosée
De l'herbe matinale ou la mer du rivage,
Se retire de nous ce qui est nôtre, inné.
Ô sourire, vers où ? Ô regard qui s'élève :
Nouvelle et chaude vague du coeur qui s'échappe - ;
Malheur à moi ! cela c'est nous, et pas un rêve.
Et cette saveur de l'univers qui nous happe,
Dans quoi nous nous dissolvons, vient-elle de nous ?
Les Anges vraiment ne reprennent-ils partout
Que ce qui est à eux, ce qui émana d'eux,
Ou bien quelques fois, comme par mégarde, un peu
De notre essence en plus s'y trouve-t-il aussi ?
Sommes-nous à leurs traits également mêlés,
Comme le vague dans le regard si joli
Des femmes enceintes, l'avez-vous remarqué ?
Eux ne le remarquent pas dans le tourbillon
De leur retour en eux (remarquer ? À quoi bon ?!)
Les amants pourraient, sauraient, s'ils le comprenaient,
Dans l'air nocturne et doux, parler étrangement.
Car il semble que tout nous dissimule en fait,
Vois, les arbres, ils sont, demeure également
La maison où nous habitons. Nous seuls passons
Auprès de tout comme un échange aérien.
Et tout conspire pour nous taire, par un fond
De honte et un indicible espoir aussi bien.
Amants, vous qui, l'un dans l'autre, vous suffisez,
À vous, je demande le secret de nous-mêmes.
Avez-vous des preuves ? Vous qui vous saisissez.
Cela me donne un peu conscience de moi-même
Quand mes mains, l'une de l'autre, prennent conscience.
Qui cependant, pour cela seul, oserait être ?
Mais vous, qui dans l'autre, son extase et sa science,
Vous accroissez jusqu'à ce que lui, dans son être,
Dominé, vous implore : assez ! Vous qui souvent,
Sous vos mains, devenez abondants plus encor
Qu'une année de raisin ; vous qui parfois pourtant
Cessez même d'être, autant l'âme que le corps,
Uniquement parce que l'autre entièrement
Sur vous l'emporte : à vous j'ose enfin demander
Le secret de nous-mêmes. Vous ! Car je le sais
Il y a près de vous, tant de félicité,
Parce que la caresse retient à jamais,
Parce que la place non plus ne disparaît,
Que votre tendresse recouvre abondamment ;
Et vous sentez au-dessous la pure durée.
Ainsi il vous semble que cet enlacement
Est presque promesse d'éternité.
Pourtant lorsque vous avez surmonté l'effroi
Des tous premiers regards, l'attente nostalgique,
Et la première promenade au fond des bois,
En commun, une fois : amoureux, c'est tragique,
Mais l'êtes vous encor ? Lorsque l'un l'autre vous
Vous portez aux lèvres et lorsque vous buvez - :
Breuvage contre breuvage - comme il est fou
Que le buveur alors une fois rassasié
Étrangement s'évade de l'acte un peu saoul !
N'avez-vous pas vu, étonnés,
Gravée sur les stèles antiques
La prudence du geste humain ?
L'amour et l'adieu, confondus,
Tous deux, légèrement posés
Contre de solides épaules ?
Comme s'ils étaient tous deux faits
D'autres substances que les nôtres ?
Rappelez-vous les douces mains
Qui reposent sans trop peser,
Malgré toute cette vigueur
Qui parvient à dresser les torses.
Maîtres d'eux-mêmes, ils voulaient sans doute dire
Jusqu'ici va le domaine qui est le nôtre :
De nous toucher ainsi ; mais la force est bien pire
Des Dieux qui nous pressent, nous leurs humbles apôtres.
Mais nous n'y entrons pas, c'est l'affaire des Dieux !
Ah ! puissions-nous trouver, puissions-nous tout comme eux,
Oui trouver une pure et durable parcelle
De substance humaine, une bande de terre
Féconde, qui serait nôtre, entre fleuve et roc.
Car notre propre coeur nous dépasse toujours.
Et nous ne pouvons plus le suivre du regard
Jusque dans les fictions qui peuvent l'apaiser
Ni dans les corps divins où en se dépassant
Il parvient finalement à se modérer.
27/02/98
Le Gardien des Anges
Ô mon Ange comme je t'aime !
Un peu comme on aime un enfant,
Bien plus : comme on s'aime soi-même.
Avec cet amour des parents,
Déguisant leur désir de protection,
Alors qu'ils ne protègent vraiment qu'eux ;
Les enfants n'ont nul besoin d'affection
Pour se préserver des monstres hideux,
Car ils ont déjà au fond de leur coeur
Des cauchemars l'habitude si belle...
Toi aussi, mon Ange, pour voler en hauteur,
Tu n'as aucun besoin que je t'offre mes ailes.
03/03/98
Le Coeur des Anges
Alors qu'on m'applaudissait des deux mains
Toi, l'Ange, tu applaudissais du coeur
Et je m'imaginais tes ventricules
Et ton sang et ton Amour qui cognait
Pour moi
Seulement pour moi.
03/03/98
Le Message des Anges (d'après la 7ème Élégie de Duino, Rainer Marie Rilke)
Quêter ? Non, plus de quête ! Au contraire une voix
Jaillie de toi-même, que ton cri soit ainsi,
Tu criais, il est vrai, avec un si pur cri
Tel l'oiseau au printemps, oubliant tout de soi :
Un animal chétif et un coeur isolé,
Élevé dans l'azur, dans un azur serein,
Dans cette intimité, qu'ont les cieux, élevé
Par le printemps nouveau, ô élevé, enfin !
Sans doute comme lui, oui tu demanderais,
Peut-être autant que lui, que l'amie invisible
A pu te découvrir, silencieuse aux aguets,
Chez qui une réponse éveillait l'indicible,
Qui à tes paroles, peu à peu s'échauffait, -
Ardente amie sensible à ton feu enhardi...
Oh ! et sans nul doute, le printemps comprendrait, -
Car l'Annonciation sonne en toute place ici.
D'abord, l'éveil léger du son et de ses questions
Et qu'au loin entoure d'un silence exaltant,
Un jour si pur à la muette approbation.
Puis voici les degrés à gravir lentement,
Les degrés de l'appel jusqu'au temple rêvé,
De ce jour avenir -, et ensuite les trilles,
Ce jaillissement que, dans l'impétueux jet,
Devance déjà la chute en un jeu de vrilles...
Et devant lui : l'été. Non seulement matins,
Tous les matins d'été, non plus leur mutation
En jour, leur rayonnement de prélude enfin,
Non seulement les jours et leur adoration
Si tendre auprès des fleurs, et, des arbres, là-haut,
À la forme achevée, si forts et si puissants,
Des forces déployées, la ferveur seulement ;
Non plus les chemins, ni les prairies du soir, ô
La clarté qui respire après l'éclair tardif,
L'approche du sommeil, et un pressentiment
Le soir... ce soir d'été, ce sentiment si vif...
Ah non seulement ça, oh non ! non seulement...
Mais les nuits, ô les nuits, hautes nuits de l'été
Mais les étoiles, les étoiles de la terre.
Oh ! être mort un jour et les connaître entières,
Toutes, infiniment, étoiles de l'été :
Car comment, oh comment, comment les oublier ?!
Enfin, voici qu'alors, j'appellerais l'amante.
Mais elle ne serait pas la seule à venir...
De tombes sans force, viendraient d'autres enfantes
Et se dresseraient là, jeunes filles, martyres...
Car comment limiter l'appel lancé, comment ?
Car les engloutis sont aussi toujours en quête
De terre. Elles aussi. Oh sachez bien, enfants,
Une chose d'ici, une fois saisie, cette
Même chose vaudrait pour beaucoup... pour beaucoup.
Et ne croyez pas que le destin soit jamais
Plus que tout ce qui est, oh jamais plus que tout
Ce qui est condensé dans l'enfance, jamais ;
Que de fois cous avez dépassé cet amant,
Respirant, respirant, juste après sa course
Bienheureuse, sans but, sans argent et sans bourse,
Sans but autre que le libre espace si grand.
Être ici est une splendeur. Vous le saviez
Jeunes filles, oh vous aussi, qui sembliez
Oh si misérables, vous aussi, englouties -,
Dans les plus affreuses ruelles citadines,
Vous qui étiez purulentes ou bien sans vie,
À la déchéance ouvertes jusqu'à l'échine.
Car pour chacune, il fut une heure, même moins,
Oui moins d'une heure entière, une durée à peine
Mesurable avec les mesures du temps, loin,
Juste entre deux instants, où elle eut la vilaine
Une existence. TOUT. Elle eut les veines pleines
D'existence et de vie. Mais nous oublions, ah
Si facilement ce que le voisin rieur
Ne nous confirme pas ou ne nous envie pas.
Nous voulons relever ceci, car le bonheur -
Et le plus visible -, ne se révèle à nous
Qu'une fois transformé dans notre propre coeur,
Une fois qu'il est nôtre il se révèle à nous.
Nulle part, bien aimée, n'existera le monde,
Sauf en nous. Notre vie, en éternelle ronde,
Se passe à transformer. Et, toujours plus réduit,
L'extérieur disparaît. Au lieu où existait
Une stable maison, maintenant se bâtit
Une autre fantaisie, de travers, en biais,
Relevant de la pensée seule, comme si
La pensée se dressait, encore toute entière,
Oui elle se dressait, dans le cerveau. L'esprit
De l'époque se crée dans la force première
De vastes greniers de forces, alors que, lui, est
Sans forme, comme l'impulsion tendue qu'il puise
Dans toutes les choses. Les temples, les églises,
Il ne les connaît plus. Non ! Il ne les connaît ;
Ces création du coeur si prodigue, deviennent
Notre plus secrète épargne, la plus ancienne.
Oui, là où subsiste encore une de ces choses
Jadis tant adorée, oui une de ces choses
Qu'on servait à genoux. Beaucoup ne la voient plus,
Mais ont l'avantage de mieux la reconstruire
Mais intérieurement, et ils peuvent sourire
Car elle est plus grande, avec piliers et statues.
Chaque retournement inconscient du monde a
De tels déshérités, auxquels ce qui était
N'appartient déjà plus, et aussi ce qui va
Être, pas encore. Car même ce qui est
Le plus proche est déjà trop lointain pour les hommes.
Que ça ne nous trouble pas, mais nous aide au mieux
À conserver en nous, dans notre coeur en somme,
La figure encore reconnue. Au milieu,
Parmi les hommes, jadis, cela se dressait ;
Au milieu du destin qui détruit à jamais,
Cela se dressait ; aussi dans l'incertitude
Des routes, cela se dressait, comme aptitude,
Comme doué d'être, et attirait dans l'air pur,
Vers soi, les étoiles, hors des cieux, pourtant sûrs.
Ange, à toi, rien qu'à toi, je le montre encor, là !
Juste devant ton regard, que cela se dresse,
Enfin sauvé, enfin maintenant debout, là !
Colonnes, pylônes, que tout cela se dresse,
Ascension arc-boutée de cette cathédrale,
Qui émerge, grise, de la ville si pâle,
Mourante, ou de la ville étrangère, orientale.
N'était-ce pas miracle ? Ô étonne-toi, Ange,
Oui étonne-toi, car c'est le nôtre, ô grand Ange,
C'est nous qui avons pu, oui, de telles merveilles ;
Proclame-le bien haut, car mon souffle sommeille,
Et il serait bien trop court pour le célébrer.
Ainsi, et malgré tout, nous n'avons pas manqué
Les espaces, si grands, les grands dispensateurs,
Ces espaces qui sont nôtres. Ah quel bonheur !
(Qu'ils doivent être effroyable d'immensité
Puisque millénaires de notre sentiment
N'ont toujours pas encor suffit à les combler.)
Mais une tour était grande, un temple était grand,
Ô Ange, n'est-ce pas ? Ils l'étaient, grands, et même
À côté de toi ? Et Notre-Dame était grande
Et la musique allait plus loin, plus haut, si grande
Qu'elle nous dépassait. Même celle que j'aime
Une simple amante, ô espérant dans la nuit,
Seule à sa fenêtre nocturne... grande oh oui...
N'atteignait-elle pas ton genou, elle aussi ?
Ne crois pas que j'adresse une demande ô Ange.
Même si je le faisais, tu ne viendras plus !
Car mon invocation est pleine de refus ;
Contre un si fort courant, que jamais rien ne change,
Tu ne peux aller. Semblable au bras tendu
Est mon appel. Sa main qui s'ouvre vers le haut,
Pour saisir, reste devant toi ouverte, telle
Une défense et un avertissement, ô
Toi, ô Insaisissable, ouverte largement.
Tel est le message que porte l'Ange blanc
Et telle est notre vie d'homme, tellement belle !
06/03/98
La Nuque des Anges
Ô quelle Merveille ! Pure Félicité
Que cet arc blanc de chair, croissant, doux au toucher
Sous la chevelure, si délicatement
Relevée, telle un Coeur soulevé par le Vent.
Là, - juste sous cette toison, belle comme la rouille,
Dorée comme les blés, qu'aucun oiseau ne souille,
Même si du charbon elle partage encor
Cette mystérieuse obscurité de Mort, -
Là, repose son Âme, écoutant les sanglots
Que son Coeur, prévenant, chuchote à demi mots ;
Sa belle Âme, toujours, prête à rire aux éclats,
À sourire ou pleurer, quand il ne le faut pas.
Oh mais également, ô ce cou si divin,
Élance tout son Corps, des cuisses jusqu'aux seins ;
Lui, qui envole au ciel, la sensuelle poitrine,
Ferme comme la Terre et telle la Colline
Douce dans le regard, éperdu et trompeur,
De l'Amoureux transit, baisant son tendre coeur.
Quelle force faut-il ? Oui mais quelle puissance !
Pour supporter ainsi cette beauté immense,
Cet angélique Corps, et ces courbes sculptées,
Et ces traits adoucis, par une douce fée ;
Marraine bienfaisante, assez pour nous donner
Visions du Corps parfait, chef d'oeuvre ensoleillé.
Plus encor, plus que Tout, je me dois de louer
Plus encor que jamais, je me dois d'adorer,
Cette pure merveille, ô délicieuse Nuque,
Que même Dieu souvent, secrètement reluque.
Car elle est Fêlure, La Frontière entre une Âme
- Innocente et pure, comme seule a la Femme, -
Et un Corps somptueux, - empli d'une douceur
Qu'on ne sait caresser plus fort qu'avec son Coeur.
Elle est... oh ! Le Printemps ! Qui descends des frimas,
De ces flocons si blancs, pour offrir dans ses bras
Les chaleurs de l'Été, les rayons du Soleil ;
Oui Elle est le Printemps, Frontière sans pareil !
Ô quelle Merveille ! Pure Félicité
Que cet arc blanc de chair, croissant, doux au baiser
Sous la chevelure, si délicatement
Relevée, telle un Coeur soulevé par le Vent.
Et uniquement pour que mes baisers se posent
Sur cette Nuque d'Ange oh si jamais je l'ose.
09/03/98
Le Baiser des Anges
Le printemps commençait à s'éveiller, hier,
Frais, reposé, après son long rêve d'hiver ;
Le soleil inondait, mais avec retenue,
Campagnes et forêts, et sur ta nuque nue
Naquit de ses rayons, un éclair de beauté,
Comme si renaissait ton rire d'un baiser ;
Ton regard hivernal s'éclairait sous tes yeux :
Il n'en fallait pas plus pour me rendre amoureux !
Moi aussi, cette nuit, je viendrai tel un Ange
Pénétrer ton sommeil, et, relevant ta frange
Pour mieux t'éveiller à cette saison première ;
Je t'embrasserai sur le revers des paupières.
23/03/98
La Chasse aux Anges
Et encore ce soir, armé d'une épuisette,
J'ai voulu repartir pour une chasse à l'ange !
Ma technique est blindée, elle n'a rien d'étrange :
Bien capter leur regard, s'en faire une nuisette,
Se vêtir de ces yeux, comme d'un manteau-igloo,
Porté pour avoir chaud, tout d'abord... au début...
Après il prend sa forme autour de son corps nu :
Il l'épouse dit-on ! Et bien soit : marions-nous !
Je chassais donc ce soir, captant dans mes filets
Le regard des anges et leurs beaux yeux qui fuyaient...
Qui fuyaient... qui fuyaient... toujours ! tant et si bien
Que je n'ai jamais pu en attraper aucun !
- Heu... je veux dire aucune -
Mais enfin, peu importe...
J'avais le coeur tout rond, si rond, comme une lune,
Mes filets carrément vides, comme une porte.
Pourtant elle était là, l'Archange malicieuse,
Et ses soeurs aussi, là, séraphines heureuses ;
Elles papillonnaient, m'envoûtant de pollen,
En me laissant rêver de soleil et d'Éden...
Et puis tout d'un coup, BANG ! L'affreux coup de massue :
Elles étaient à moi - et déjà presque nues -,
Quand soudain surgirent leurs diables en chaleur,
Et que croyez-vous donc qu'elles firent, maudites !?
Elles prirent leurs mains, qu'ils montraient sur leurs coeurs,
Acceptant leurs baisers, qu'ils planquaient sur leurs bites.
Mais qu'avait-ils donc tous de plus que moi, hein : quoi ?
Ni plus beaux, ni plus forts... et pourtant ces bigotes
N'aiment que les diables ! Et moi... et moi ? et moi !
C'est décidé : demain, je redeviens coyote !
25/03/98
La Route des Anges
Et la Route recommence
L'envie la vie la nuit
Et le silence
Se sentir seul enfin
Pour écouter le silence des étoiles
Un certain manque de quelqu'un
Toujours
Depuis ce jour où l'on rencontre
L'Ange
Un manque crucial vital
Fatal ?
Une absence en tout cas
Comme une auréole
Qui vous encercle
Mais dont on ne ressent
Que l'espace vide qu'elle enlace
Qu'importe !
L'espace est là pour être parcouru
Pour que l'on y marche
Que l'on y marche
Et chaque pas marque de son empreinte
Ce vide infini
Alors recommencent les étoiles
Le silence la nuit la vie l'envie
Et la Route recommence.
26/03/98
L'Inconscient des Anges
Aujourd'hui je devais voyager, loin, vers celle
Que j'aime encor, peut-être aujourd'hui, en tous cas,
J'en suis sûr, celle que j'ai aimée, autrefois...
- La mémoire des souvenirs sourit : si belle ! -
Quelle joie - alors que seul, depuis trop longtemps,
L'enregistrement froid de sa voix me parlait -
Quand je l'ai surprise, juste en se réveillant,
Peut-être presque nue, elle me répondait...
Maudit soit le Destin ! ai-je pensé trop vite :
J'avais oublié mon précieux billet de train,
Il allait falloir courir courir vite vite
Alors j'ai bien couru, mais j'ai couru en vain !
Mais l'Inconscient Cosmique aime jouer des tours,
L'Ange de la chance me souriait, farceur :
Le train suivant était plus rapide, et sans heurts,
Me conduirait à temps auprès de mon amour.
Et je pouvais même déguster un repas
Aussi délicieux que le corps de la serveuse,
Mignonne, elle a sourit en me parlant tout bas,
Comme une confidence auprès d'une amoureuse.
Ô mon doux et bel Ange, ami et protecteur,
Puisses-tu faire que continue ce bonheur ;
Qu'il aille jusqu'au bout, sans arrêt, sans détour,
Comme le terminus de ce train pour l'Amour.
Et l'horizon est clair, épuré de nuages,
J'y entrevois, au loin, ta douce silhouette,
Et je viendrai à toi, simple, nu comme un page,
Genou à terre, pour, en relevant la tête,
Te baiser les pieds, puis, jusqu'aux lèvres montant,
Voler un peu de ton sourire empli d'espoir...
Mais sinon, attention : dans ma fureur d'enfant,
Ange, je repeindrai tes deux ailes de noir !
04/04/98
Les Ailes des Anges
Souvent les Anges s'enfuient, souvent...
Mais qui penserait un jour pourtant
À leur couper les ailes : jamais !
Ainsi amputés, ils voleraient
Quand même au-dessus de nos tourments,
De nos joies et de nos sentiments...
Car les Anges se piquent en fait
De cet idéal qui tant nous plaît :
Fi de ces fourrures cintrant les seins ;
Du rouge soleil au petit matin !
À quoi bon s'émerveiller comme nous,
En respirant l'air pur, dressé, debout,
Su la plus haute et forte des montagnes ?
Pourquoi rester blotti dans la campagne,
Serrant une fille à la fleur de l'âge,
S'extasiant en choeur devant les nuages ?
Tous les Anges ont vu des beautés bien plus belles ;
À quoi servirait-il de leur couper les ailes,
Quand on ne peut mieux qu'eux déclarer un "je t'aime" ?
Peut-être la réponse est au prochain poème...
14/04/98
L'Envol des Anges
Chaque Ange s'envole
Onde corpusculaire
Moins mécanique que poétique
Chaque Ange s'envole en l'air
Illuminant l'azur
De ses yeux bleus marrons ou verts
Brillant dans le noir
Chaque Ange brille
Pour l'un d'entre nous
Il faut juste saisir le bon moment
Pour s'agripper à ses ailes
Et se laisser porter
Au-dessus des Temps :
Vois alors, ami, les cieux inexplorés
Découvre, tel un enfant, les paradis
Que, depuis l'aube, tu as imaginés :
Les Anges te l'offrent si tu le saisis,
Cadeau merveilleux, tellement attendu,
Accepte-le, en découvrant leurs seins nus
Et délecte-toi lorsque l'Ange s'envole
Scintillant dans le ciel comme une luciole.
14/04/98
Le Souffle des Anges
Et la poitrine des Anges
Se gonfle
Et se relâche, se repose
Comme si Dieu venait
Murmurer tout contre leur coeur
Et que chaque sein
De chaque Ange
S'emplissait de ce Souffle divin
Mais comment pouvons-nous détourner le regard
Loin de ces collines aux pointes gracieuses,
Où la Vie elle-même apparaît sans ses fards,
Légèrement voilée, pudique et envieuse ?
Ô poète ! puise là ton inspiration,
Que ton torse éprouve chaque sein respirant,
Qu'il s'abreuve sans fin, là où cogne le sang,
Là où cogne le souffle, exquise émanation,
Qui cogne et s'écoule d'Angéliques poitrines
Comme d'une fontaine emplie d'une eau divine.
15/04/98
La Peau des Anges
Et les Anges rient, depuis que leurs plaies
Se sont refermées, ils sont d'humeur gaie ;
Comme un soleil, semblant encor plus chaud,
Dès qu'il parvient à percer les nuages,
Car, toujours, après une pluie d'orage,
On le voit briller encore plus beau.
Les anges rient
Leurs blessures sont maintenant coagulées
Mais sur leur Peau
Les cicatrices
Les empêchent d'oublier.
17/04/98
Les Yeux des Anges
Qui donc aurait osé imaginer
Que l'Ange existât ; que son existence,
Passée dans la Nuit à l'illuminer,
Puisse m'accorder, une nuit, sa danse ?
Une nuit, elle m'invita, Luciole,
Au coeur bleu, aussi doux que la douceur
Calme de sa peau, chantant sans paroles,
Que j'entende danser tout contre moi son coeur.
L'Ange me parla, à moi, une nuit...
Et sa tendre voix chuchotait encor
Au petit matin dans le silence du lit
Qui avait accueilli la danse de nos corps...
Qui donc aurait osé rêver que ses beaux yeux
Brilleraient dans les miens, perçant l'obscurité,
Et qu'ils continueraient, avec leur regard bleu,
À plonger en plein jour dans mes yeux envoûtés ?
19/04/98
La Vie des Anges
Lorsque l'Ange était
Ange
Il ne voyait pas les couleurs
Ses yeux parcouraient le monde
Depuis les neiges éternelles
Jusqu'aux intérieurs gris
Des gares de passages
Il savait le mariage
Des Femmes et des Hommes
De l'Amour et du Sexe
De l'Âme et du Corps
Et il savait qu'une fois unies
Toutes ces choses étaient semblables
Mais que seul
Un Ange
Pouvait encore les distinguer
Lorsque l'Ange était
Ange
Il se délectait
Des sentiments
Qui volent hors du Temps
Et des Passions
Qui défient la gravité
Pour s'arracher à la Terre
Il connaissait
L'Histoire
Des Hommes et de leurs Peurs
Depuis le premier baiser d'Ève
Jusqu'à la pièce de deux francs
Qui fait encore espérer le mendiant
Lorsque l'Ange était
Ange
Il écrivait Tout
Dans son carnet à spirales :
Le rêve des cygnes du Lac de Côme
La première cigarette le matin avec un café chaud
La peau laiteuse d'une fille assise sur une terrasse
Le sourire de la vendeuse de fleurs
L'étreinte des Amants du Pont-Neuf
La légende de Faust
Et le requiem de Mano
L'Été qui arrive chaque année un jour différent
Les poèmes qui accompagnent un bouquet de roses rouges
Le chahut des sorties d'école
Le silence des salles de cinéma
Le cri de la foule lorsque le Mur fut vaincu
Ses pleurs étouffés à l'enterrement du Poète
Le calme repos des Nymphéas
La violence d'un viol dans une ruelle sombre
Le vrombissement de la première fusée
Les éclats désespérés des bombes
La beauté sauvage d'une étoile qui meurt
L'histoire sans fin
La trahison de Caïn
La patience de Pénélope
Le combat contre l'oubli de Julie...
Tout était consigné
Chaque empreinte que chaque Homme
Essaye de graver
Dans l'écorce terrestre
Lorsque l'Ange était
Ange
Il pouvait
Voler au-dessus des Âmes
Et s'abreuver
Du sentiment des Autres
Sans jamais
En ressentir lui-même
Lorsque l'Ange était
Ange
Ses souvenirs étaient des espoirs
Épurés de tout regret
Ses baisers étaient des présents
Qu'il offrait à la bise
Pour qu'elle donne aux amoureux
Un avant-goût de Paradis
Car il connaissait
Les chemins directs
Vers l'Essentiel
Il ne laissait de côté
Aucun Détail
Mais il savait qu'ils n'étaient
Que Détails
Et lorsque l'Enfant était
Enfant
Elle rêvait toujours
Qu'elle était
Un Ange.
21/04/98