Nouveaux regards (Révolution)
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09/01/1994 - 12/11/1994

Les vieux

Écoutez-les parler, de leur ombre fanée,
Comme si elle était à peine éclose encor,
Et bourgeonnant au vent, et conjurant le sort,
Dont les tout derniers jours se comptent en années.

Écoutez-les pleurer l'aurore abandonnée
Se moquant du soleil qui lentement s'endort
Au crépuscule avec ses rides parées d'or,
Oubliant l'aube éteinte et sa fraîche rosée.

Pendant qu'elle cuisine, il regarde le temps,
N'attendant rien d'autre, il renifle le vent,
Épiant le doux parfum et les odeurs de soupe,

Et lorsqu'enfin la voix l'invite à se nourrir
Il se lève rêveur, et recoiffe sa houppe
S'assied comme toujours, le foie prêt à mourir.

09/01/94

Les amoureux

Et la main dans la main, vous les voyez passer,
Comme un rai de fumée légère et alcaline,
Vous les voyez passer et une fée coquine
Embrase leur aura et vous les comprenez.

Puisqu'ils sont amoureux vous les comprenez :
Vous savez leur soleil et leurs lunes divines,
Vous connaissez leurs joies, leur auréole fine
Et la lumière bleue qui glisse sous leurs pieds.

Et tous ces amoureux sont un soleil qui brille
Pour tous ceux qui les voient, un éclat qui pétille
Dans les yeux où ils sont, comme un vin capiteux.

À deux, ils ne sont qu'un : beauté universelle,
Chacun se reconnaît dans ce même être à deux
Car chacun est touché par le feu de leurs ailes.

10/01/94

Dieu

Tout a changé mon Dieu : je ne te cherche plus,
Je ne me pose plus d'âpres questions mystiques,
Peu m'importe aujourd'hui ta vie hypothétique,
Ta miséricorde et tes pouvoirs de salut.

Je ne me saoule plus au vin que tu as bu,
Tu ne m'enivres plus de ton calice antique,
Je me fous maintenant de ton sang chimérique,
De tes bannières en croix et de ton fils Jésus.

Car tu es du soleil, ta grandeur est astrale,
Et je suis imprégné d'existence animale.
Dans mes veines je sais que coule ton amour,

Que ma vie est bien là, sous le froid de ton glaive,
Je sais que chauff'nt en moi tes flocons alentours,
Que tu t'incrusteras dans chacun de mes rêves.

15/01/94

Fame

Il me reste à conquérir ces forêts de mémoires,
Il faudra les chercher et y graver son nom,
Gravir cet Olympe et y régner pour de bon
Et il faudra surtout domestiquer l'histoire.

Alors tous les succès tourneront leurs nageoires
Pour s'en venir plonger dans nos océans blonds
Abreuvés de pluie bleue, puis nous inonderont
Sans nous laisser le temps de goûter notre gloire.

Mais alors pour combien de temps serons-nous là,
En équilibre avant de retomber en bas ?
Car à peine arrivés, souffle déjà la bise,

Nos noms arénacés, balayés dans l'oubli
Redeviennent sable et la pauvre gloire acquise
S'efface lentement, tout est déjà fini.

30/01/94

War

Mon coeur, mon tendre amour, je ne partirai pas
Je préfère rester auprès de vos ombrelles,
Près de vous, loin des feux, ma douce demoiselle ;
Les batailles armées, je les laisse aux soldats.

Pourquoi, dites-le moi, m'en irais-je au combat
Assoiffé de meurtre et de blessures cruelles ?
Il vaut mieux siroter vos suaves citronnelles ;
Soyez sûre ma mie, je n'vous laisserai pas.

Car ces guerres de sang ne seront jamais miennes,
Ces combats belliqueux à mon coeur n'appartiennent,
Mon semblable jamais je ne pourrai tuer

Jamais en art guerrier je ne serai orfèvre.
Mais si je dois un jour une guerre livrer
Si un jour je me bats, ce sera pour vos lèvres.

06/02/94

Baby blue

Qu'elle est douce ta vie, serrée entre tes mains.
Qu'elle douce ta peau, mon enfant adorée.
Les plumes se courbent là où tu es passée,
Se laissent caresser par tes doigts chérubins.

Je t'aime mon enfant et mon amour n'est rien
Qu'une déclinaison de ta peau conjuguée
À ton coeur miniature et ta douceur sucrée.
Je t'aime tendre enfant et le reste n'est rien.

Tu sais : la mer est bleue pour ceux qui savent voir ;
Je t'offrirai des yeux, t'apprendrai les miroirs
Et le ciel tout entier tombera sur tes joues.

Tu sais : la rose est rouge et tu lui souriras
Car sa couleur est là dans tes visions si floues
Et tu lui souriras quand elle te verra.

26/02/94

Vie

Comme une plume au vent, tu te dois de voler
Dans l'équilibre flou des races sanguinaires
Qui s'évertuent au loin ; laisse la boue derrière
Enfuis-toi vers le ciel, dans sa simplicité.

Et brise les miroirs et leur opacité,
Quand dans la transparence on s'arrête et vénère
Le culte difficile assoiffé de lumière
Des dédales sans fin bannis de clarté.

Tu es source du sang, à l'Orient tu ruisselles,
Et tu te montre nue, assurément plus belle,
Le coeur au bout du sein, le rêve au fond des yeux.

Ils implorent ton chant, se donnent en offrande.
Et ils ont tous la même envie de vivre à deux,
Les mêmes illusions blanches trois fois trop grandes.

26/03/94

Sens commun

J'ai rêvé d'une brique encastrée dans son mur,
Serrée contre ses soeurs, toute droite alignée,
Collée par du ciment, si immobilisée
Qu'elle n'osait bouger de son socle trop dur.

J'ai rêvé d'une brique engluée dans son mur,
Qui laissait s'égrèner les heures ensablées,
Mais ses rêves la nuit poussaient son envolée
Jusqu'aux libres festins que donnait Épicur'.

Là, elle devenait fluide comme rivière,
Occupant l'infini avec ses grains de pierre.
Mais le jour renaissant, solide elle trouvait

À nouveau sa prison. Pourquoi rester conformes
Encloîtrés dans le mur ? Devenons feux follets,
Comme la pierre en gaz, transformons notre forme.

27/03/94

Optimiste

Je veux rêver encor de vivre l'illusion,
Rêve domestiqué, mais qui n'est illusoire
Que si, les yeux fermés, on n'arrive à y croire.
Je veux rêver encor, alors viens et rêvons !

Il faut apprivoiser tout ce que nous rêvons.
Il ne doit subsister aucune échappatoire.
Un rêve en liberté, chauffant dans sa bouilloire
Pourrait nous échapper, glissant comme un poisson.

Mais on nous les tuerait nos rêves-volatiles,
Si nous les couchions sous des rimes faciles,
Alors enfermons les, gardons les bien vivants ;

Mais gardons les cloîtrés, enchaînés dans nos âmes,
Regardons les briller, bien à l'abris des vents,
Regardons les brûler et mourons dans leurs flammes.

05/05/94

Passions

Lorsque mes yeux fermés rencontrent ton regard
Et que ce doux regard a la voix des sirènes ;
Lorsque je suis piégé, soufflé par ton haleine,
Et précipité vers tes lèvres de hasard ;

Lorsque mon coeur biaisé, à la lueur du soir,
Cherche trois mots de toi pour, à nouveau, sans peine,
Couler jusqu'au matin ton prénom dans mes veines ;
Lorsque ce prénom cogne à ne plus rien y voir ;

Lorsque n'y voyant rien, lorsque mes yeux pétillent,
Aveuglés par ton sang, j'ai peur petite fille
Que mon amour ne sois que terrible passion.

Car je t'aime avant tout, avant ma propre vie,
Avant le soleil d'or, avant la déraison,
Et t'aimer jusqu'au bout est mon unique envie.

07/05/94

Érato

Combien de visages as-tu pu emprunter
Depuis ce jour châtain où tu m'es apparue,
Enrobée en mariée, chevauchant ta vertue,
Et chuchotant au vents qu'il fallait t'épouser ?

Combien de mots coulants as-tu pu me souffler,
Collant ma plume bleue sur ta poitrine nue,
Comme si tes beautés étaient tombées des nues
Pour me désassoiffer, buvant tes vers à pieds.

N'y a-t-il donc que toi pour m'offrir une brise
Qui puisse soutirer ce qu'il faut que je dise ?
Érato, Érato, n'y a-t-il donc que toi

Pour m'écouter chanter le cri des labyrinthes
Où voltigent les mots sous les portes du choix
Quand ta lyre leur livre une chanson succincte.

22/05/94

Nombre

Et les six mille vents aux griffes séculaires
Aspireront nos corps dans leurs faux tourbillons,
Nos vaines voix charnues soudain s'agripperont
À leurs cheveux fiévreux, essayant de leur plaire.

Les deux seuls océans, existant sur la Terre,
Leur masque brandiront, en guise de pardon,
Et dans l'aurore alors, trois cloches sonneront,
Tonnant l'apocalypse et la fin des calvaires.

Dès lors nous ne serons à la fin plus que deux :
Il n'y aura que toi, la fille au cheveux bleus,
Et moi, me souvenant de mégalomanies,

Comme si avec toi, j'étais enfin complet,
Réalisant à deux, vingt et un' prophéties,
Vivant à tes côtés le seul nombre parfait.

23/05/94

Artiste

Et si tout n'était rien que plaisir personnel ?
Si tout ne ressemblait qu'à une thérapie
Où le seul médecin déguisé en sosie
S'allierait au patient d'un accord fraternel,

Le pinceau cache-t-il sous son voile pastel
Un portrait différent d'une photographie ?
La flûte chanterait une autre litanie
Que celle de la voix qui ne parle que d'ell' ?

Et si rien, dans tout art, rien ne pouvait prétendre
Toucher à l'univers autrement qu'à ses cendres ?
Si rien ne changeait rien, qu'on puisse s'en passer

Pourquoi toujours chanter, continuer à peindre,
Et écrire ces vers ? Pourquoi se masturber,
Et toucher au soleil sans le laisser s'éteindre ?

11/06/94

Effort

L'étoile a pris ton nom pour briller à nouveau
Azurant les jardins d'une coulée d'aurore
Une fois seulement il faudrait que j'ignore
Rien qu'un unique instant ton silence si chaud

Encore un soir si gris encore un feu trop beau
Naissant de ton oubli en manque de ta flore
Cristallisant ta peau, cette peau que j'adore,
Évitant souvenirs et illusions d'écho

Dans ton nuage éteint où je luisais quand même
Agonise aujourd'hui mon éternel "je t'aime"
Rien ne peut empêcher le soleil de crier

Malgré tous mes efforts il reste l'impuissance
Et je ne voudrais pas trahir mes propres dés
Tu dois jouer ton tour et tuer ma patience

11/06/94

Petite fille

Et pleurant comme un feu au milieu du soleil,
Tu surgis à nouveau au milieu de mes rêves,
Dans ton manteau de boue, emmitouflée comme Ève.
Je t'avais pourtant dit que nous étions pareils.

Abandonne ma vie et sors de mon sommeil,
Cache-toi dans l'ombre quand la lune se lève
Et parle-moi encore avant que je n'en crève,
Car je t'aime pourtant, malgré mes bons conseils.

Petite fille bleue, dans ma vie si présente,
Tu persist's à venir dans cette chanson lente.
Mais je veux à présent d'un geste te chasser,

Jamais je n'aurais cru que j'en fusse capable.
Je t'aime encor pourtant, je ne fais que t'aimer,
Mais mon amour sans toi rend la vie trop instable.

17/06/94

Delirium

Mais comment arrêter ce dialogue intérieur
Où des millions de voix aiguisent ma patience ?
Comment les faire taire et fuir cette démence ?
Pourrai-je voir un jour sans que ce soit un leurr' ?

Et j'égoutte le temps en filtrant ses erreurs,
Et les fraises de Dieu retardent l'échéance,
La perception se perd dans une de ces transes,
Où je suis fou enfin, enfilant d'autres moeurs.

Le miroir ne ment pas, dommage qu'il se taise !
Il pourrait transformer les corps de rêve en fraises !
Nous saurions mieux alors fixer nos précieux points

Dans d'autres positions, plus au fond vers la gauche ;
Visiter le nagual, pousser un peu plus loin
La seconde attention, sans que la mort nous fauche.

19/06/94

Musique

Écoutez-la vibrer du fond des labyrinthes :
C'est elle de tous temps qui porte sur son dos
La lumière en écrin qui dépasse les mots
Et les douces pulsions de nos visions éteintes.

Écoutez-la chanter les poésies succinctes
Qui ricochent dans l'eau leurs notes en écho.
Regardez-la enfin briller de ses joyaux
Et pleurer sans larmes, belle comme une sainte.

Elle me fait de l'oeil en coulant tous mes vers,
Ses pouvoirs sont chargés du sens de l'Univers
Elle semble infinie et parait éternelle.

Il me faut maintenant trouver la note qui
Dévoilera enfin sa vérité réelle,
Son secret écorché : la musique est un cri !

27/06/94

Drogue

La liberté viendra lorsque l'on trouvera
De l'herbe dans la rue, quand les gouttes de pluie
Feront ainsi germer les trottoirs pleins de suie,
Lorsque sous les pavés la plage on fumera.

La lumière écaillée dans les coeurs s'ouvrira
Et chantera plus fort, gouttant à l'alchimie
Des couleurs pimentées, à la joie infinie
Qui gardera le ciel de choir un peu plus bas.

On aime dix fois plus, dix fois plus on respire
La saveur des roses et l'on se met à rire
Touchant au paradis comme si l'on volait

Poussé par des ailes saupoudrées d'épilogue
Car le feu cannabique éteint ce qui pleurait
Et on l'appellerait encore et toujours drogue ?

11/07/94

Suicide

La lumière a parfois un goût d'humidité ;
Mais alors que chercher quand la vie est parfaite,
Quand baigné dans cette eau, les gouttes se répètent,
Quand le corps tout entier voit enfin la Clarté ?

Le néant vient parfois dans la vie s'immiscer ;
Mais alors que vouloir quand la vie est défaite,
Quand baignée dans le noir, la volonté s'arrête,
Quand tous nos pauvres sens sont dans l'obscurité ?

La climatisation de s'arrêter menace,
Quand le froid ou le chaud nous crache à la face ?
Mères si vos enfants veulent soudain mourir

C'est qu'ils sont trop heureux, plus rien ne les enivre,
Sinon ils sont trop las, las de toujours souffrir ;
Il ne faut surtout pas les obliger à vivre.

22/07/94

Smile

La nuit s'écrie parfois qu'ell' voudrait voir le jour
Inonder son visage et éclaircir ses tempes
Elle aimerait changer la lumière des lampes
En naturel soleil et en jouir à son tour

Pourtant la nuit sourit et poursuit son parcours
Essayant de séduire à en souffrir de crampes
Voulant oublier que dans son corps entier campe
La couleur du chagrin sans le bleu de l'amour.

Son coeur de nuit sourit à la vue des étoiles
Et il rougit souvent aux néons qui s'étalent
Car c'est là son seul feu à ce doux coeur de nuit

Mais ces étincelles lui rendent son sourire
Et c'est au fond de lui, son propre coeur de nuit,
Que cherche la nuit noire où son bonheur s'inspire.

31/10/94

Futur

Demain ne sera pas encombré de pendules
Au lourd balancier distillant les dollars,
Demain, le Temps viendra à chaque heure en retard,
Le porte-monnaie vide, allégé, ridicule.

Râ sera notre seul et unique pécule,
Le Temps se comptera en arcs-en-ciel épars
Et en gouttes de pluie, toute nues sans costard,
Demain l'or sera fait d'étoiles sans pustules.

Car demain ne sera que ce que nous voulons
Qu'il devienne à jamais, vide de ces étrons
Qui sont notre Aujourd'hui, contrariant nos envies.

Oui nous sommes enfin maître de l'avenir,
Nous avons joué le Jeu, les règles sont nos vies,
Changeons les maintenant, jouons notre plaisir.

12/11/94

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