Alors que la convention sur le brevet européen, citée précédemment, interdit la brevetabilité des programmes d'ordinateur, l'Office Européen des Brevets - OEB -, dont les statuts ont été mis en place par cette même convention, a pourtant accordé de nombreux brevets logiciels depuis les années 80 jusqu'à nos jours11.
Le chemin pris par l'OEB conduisant à cette contradiction est constitué d'une suite d'étapes minimes en apparence que Jean-Paul Smets-Solanes a parfaitement analysée dans son Rapport sur l'innovation http://www.pro-innovation.org/rapport_brevet/brevets_plan.pdf.
Une décision de la cour d'appel de Paris, le 15 juin 1981, dans l'affaire Schlumberger a tout d'abord permis la brevetabilité des inventions contenant un programme d'ordinateur :
« Bien que le procédé revendiqué comprenne six étapes successives, certaines impliquant indéniablement l'utilisation d'un programme d'ordinateur, la description globale du brevet ne se réduit pas au traitement d'informations par ordinateur. »L'OEB a dans un deuxième temps considéré comme brevetables les machines contenant un programme d'ordinateur innovant, telles que des robots génériques pilotés par un logiciel. Dès lors, les revendications des demandes de brevet ont été ingénieusement rédigées en mettant l'accent sur la partie matérielle.
Troisièmement, les processus algorithmiques de traitement de l'information ayant un effet technique ont pu devenir brevetable. Ceci s'est illustré dans l'affaire Vicom où la décision du Technical Board of Appeal de l'OEB a été rendue le 15 juillet 1986 :
« Même si l'on peut considérer que l'idée sous-jacente d'une invention réside dans une méthode mathématique, une revendication associée à un procédé technique dans laquelle la méthode est employée ne concerne pas la protection de la méthode mathématique en tant que telle. »La quatrième étape a vu apparaître la théorie de la machine virtuelle dans l'affaire Koch & Sterzel rendue le 21 mai 1997 par le Technical Board of Appel :
« Si le programme contrôle un ordinateur générique connu, de manière à techniquement modifier son fonctionnement, la combinaison du programme et de l'ordinateur est une invention brevetable. »Dans une cinquième étape, l'affaire IBM rendue le 4 février 1986 a permis que les programmes d'ordinateur qui n'étaient pas « en tant que tels » soient brevetables :
« Les programmes d'ordinateur doivent être considérés comme des inventions brevetables lorsqu'ils ont un caractère technique. »Enfin, on a vu depuis, une étape finale permettant de breveter des méthodes d'organisation implémentées à l'aide d'un ordinateur, telle que le brevet EP756731 sur un procédé de sélection interactif pour choisir dans un magasin d'alimentation les différents ingrédients entrant en jeu dans la préparation d'un plat cuisiné.
Depuis, de nombreux exemples de brevets sont apparus, portant sur des méthodes n'ayant rien d'inventif mais dont les revendications ont été acceptées parce qu'elles étaient mises en œuvre par le biais de programmes d'ordinateur (cf. Musée d'Horreurs des Brevets Logiciels Européens http://swpat.ffii.org/brevets/echantillons/index.fr.html).
Cette stratégie suivie par l'OEB et d'autres offices de brevets conduisant à la brevetabilité de fait des logiciels a été conduite progressivement, en franchissant les étapes une à une, presque sans soulever d'opposition. On est ainsi en droit de s'inquiéter sur les conséquences des prochaines étapes. En effet, en autorisant petit à petit les programmes d'ordinateur à être brevetés, il n'est pas irréaliste de craindre que toutes les méthodes intellectuelles fassent elles-mêmes l'objet de revendication, ce qui conduirait tout droit à la privatisation des idées.
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