Effectivement, un « brevet logiciel » n'est pas un brevet sur un logiciel mais un brevet sur un procédé inventif de traitement de l'information. Et il n'existe pas de distinction possible entre une suite d'instructions donnée à un ordinateur et la même séquence d'instruction donnée à un humain.
Par nature, l'ordinateur n'est qu'un calculateur dont la puissance permet de réaliser des opérations avec une vitesse et une précision incomparables par rapport à ce que peut accomplir un être humain. Les logiciels ne mettent en œuvre que des procédés n'ayant aucune influence sur les forces de la nature, et de ce fait, faciles à réaliser. Mais la puissance des calculateurs a permis de multiplier ces opérations à un degré de complexité inenvisageable pour l'esprit humain. On peut ainsi voir les logiciels comme étant un assemblage extrêmement complexe d'objets mathématiques.
Il est important de prendre conscience que tout programme d'ordinateur est scientifiquement équivalent à une preuve mathématique, à un algorithme. On peut à ce sujet rappeler les propos du Professeur Donald Knuth (http://lpf.ai.mit.edu/Patents/knuth-to-pto.txt) :
(...) essayer d'établir une distinction entre des algorithmes mathématiques et des algorithmes non mathématiques (...) n'a aucun sens, car tous les algorithmes sont aussi mathématiques que possible. Un algorithme est un concept abstrait sans relation avec les lois physiques de l'univers.
(...) Le Congrès a sagement décidé il y a longtemps que les objets mathématiques ne pouvaient être brevetables. Il est sûr que personne ne pourrait plus faire de mathématiques s'il y avait obligation de payer un droit de licence dès que le théorème de Pythagore est utilisé. Les idées algorithmique de base que les gens s'empressent aujourd'hui de breveter sont si fondamentales, que la conséquence menace de ressembler à ce qui pourrait se passer si nous autorisions les écrivains à détenir des brevets sur les mots et les concepts. Les romanciers ou les journalistes seraient incapables d'écrire des histoires à moins que leur éditeur n'obtienne la permission des propriétaires des mots. Les algorithmes sont exactement à la base des logiciels comme les mots le sont pour les écrits, car ils sont les briques fondamentales nécessaires pour construire des produits intéressants. Qu'arriverait-il si les avocats pouvaient breveter leurs méthodes de défense, ou si les Cours Suprêmes de justice pouvaient breveter leurs jurisprudences ?De ce fait, la brevetabilité des logiciels peut entraîner un blocage de pans entiers de la technologie informatique d'une part et de l'accès global au patrimoine des connaissances humaines d'autre part.
En effet si un algorithme breveté est au cœur d'une technologie particulière, il interdit le développement de tout logiciel reposant sur cette technologie. C'est ce qui c'est passé avec l'algorithme de compression LZW. Cet algorithme permet de réduire la taille de données numériques en les compressant. Sur les systèmes Unix, un utilitaire - compress -, utilisant l'algorithme LZW pour permettre la compression de n'importe quel fichier, a dû être retiré sous la pression des détenteurs du brevet. De même, les images au format GIF reposent également sur l'algorithme LZW. Unisys12, propriétaire de ce brevet, a laissé ce format d'image s'imposer notamment dans les pages web, avant d'attenter des procès, dès lors que l'on utilisait un logiciel de manipulation d'images n'ayant pas acheté de licence pour créer des images GIF.
Et lorsque l'on s'autorise à accorder un monopole privatif sur un algorithme, élément de base de tout programme informatique, on prend le risque de privatiser non seulement les logiciels potentiels basés sur cet algorithme mais également toute activité humaine informatisée. Les dernières décennies ont effectivement vu de plus en plus de méthodes intellectuelles être transposées dans l'univers de l'informatique et des réseaux. Et la privatisation octroyée par les brevets logiciels risque de faire passer dans le domaine privé des activités aussi importantes que l'éducation à distance par ordinateur, la lecture de livres digitaux ou le vote électronique. Cette privatisation s'effectue aujourd'hui sans soulever de protestation alors que seuls quelques privilégiés - en nombre croissant - ont aujourd'hui accès aux réseaux informatiques. Mais lorsque ces activités traditionnelles s'effectueront majoritairement par le biais des technologies informatiques, il serait sans aucun doute dangereux d'en laisser le contrôle à des entreprises privées.
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