Les brevets logiciels, comme tous les brevets industriels, font partie dans les textes juridiques du domaine de la « propriété intellectuelle ». Le développement et la critique de ce terme de « propriété intellectuelle », de ce qu'il recouvre et des intérêts qu'il suscite, se doivent de faire l'objet d'un article à part entière. Nous nous contenterons ici de souligner le fait qu'il regroupe quantité de notions très distinctes les unes des autres : les brevets, le droit d'auteur, le droit des marques, etc. Ces différents concepts juridiques ont des applications très différentes les unes des autres, ont été mis en place pour des motifs indépendants les uns des autres et couvrent des droits n'ayant aucun rapport entre eux. Pourtant tous se trouvent regroupés sous le même terme de « propriété intellectuelle ».
Il ne faut pas se laisser abuser par un terme aussi générique traitant d'autant de notions distinctes. Dans cet article nous avons traité des brevets - et plus spécifiquement des brevets logiciels - mais en aucun cas de ce que l'on nomme la « propriété intellectuelle ». Et quiconque prétend discourir sur la « propriété intellectuelle » devra étendre son discours de la même manière que celui qui, prétendant discuter de la « physique », devrait embrasser la physique newtonienne, la physique quantique, la relativité simple et étendue, etc.
Le terme de « propriété intellectuelle » est d'autant plus trompeur qu'il rappelle volontairement celui, plus habituel, de propriété matérielle. En nommant ainsi les concepts que l'on a rassemblé sous le terme de « propriété intellectuelle », on incite à considérer ces concepts de la même manière que les choses matérielles. Or les différences entre ce qui est matériel et ce qui est intellectuel sont si évidemment prononcées, qu'il est dangereux de les aborder de la même manière, qui plus est sous l'angle de la propriété !
Il est toutefois notable que les différents droits de la « propriété intellectuelle » sont à l'heure actuelle l'objet d'offensives sans précédent de la part de grands groupes industriels et de puissants lobbies économiques. Les brevets logiciels en sont un exemple malheureusement notoire. Ainsi en Europe, la commission parlementaire aux Affaires Légales et à la Justice se prépare à imposer un texte instaurant la brevetabilité du logiciel. On peut s'interroger sur le fait que ce soit cette commission qui soit chargée de statuer sur le domaine des brevets et non la commission Culturelle ou celle de l'Industrie, dont les avis n'ont été que consultatifs13.
Ces interrogations sont cependant compréhensibles lorsqu'on les considère selon le point de vue capitaliste des entreprises géantes transnationales. Celles-ci ont en effet prospéré tout au cours de l'ère moderne grâce à la propriété matérielle. L'ère post-moderne, dans laquelle nous entrons actuellement, marque un changement dans les règles régissant le capitalisme. L'influence sur le pouvoir des industries traditionnelles laisse de plus en plus la place aux puissants conglomérats des industries culturelles, de la communication et des nouvelles technologies. La propriété matérielle pour cette nouvelle classe dominante n'est plus à l'ordre du jour alors qu'elle était la clef du pouvoir pour les industries traditionnelles. En effet, ces puissantes sociétés transnationales bâtissent plutôt leur immense fortune sur leur capacité à réguler l'accès aux réseaux techniques et culturels qu'elles dirigent, définissant ainsi l'intégration ou l'exclusion des utilisateurs, des consommateurs, des usagers, des clients, des spectateurs, des auditeurs - quel que soit le terme employé pour les désigner, pourvu que l'on évite soigneusement d'avoir affaire à des citoyens !
Toujours est-il que le terme de « propriété » étant fondateur de la puissance capitaliste, il est apparu sans doute confortable pour régir ce qui est aujourd'hui à la base du pouvoir des industries culturelles et des NTIC. En effet, ces entreprises tirent leur puissance de l'accès qu'elles permettent aux différentes expériences culturelles qu'elles proposent. Ainsi, peut-on nommer « propriété » ce droit d'accorder - ou de refuser - l'accès aux informations et aux connaissances et surtout de faire de cet accès une valeur marchande, tout comme la propriété matérielle, à l'ère moderne, offrait un droit sur les marchandises échangées.
Ainsi, évitons ce terme de « propriété intellectuelle », parlons spécifiquement du sujet traité - brevets, droits d'auteur,marques déposées, etc. Et s'il faut vraiment discourir sur l'ensemble des ces droits, préférons le terme d'« accès »14, plus révélateur de ce que cet ensemble recouvre.
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