Nous avons montré tout au long de cet article que les divers arguments habituellement avancés pour justifier une « protection » des logiciels par des brevets étaient particulièrement inadaptés aux petites et moyennes entreprises. Les brevets logiciels n'arrivent pas à « protéger »les inventions des PME face aux grandes entreprises détenant un imposant portefeuille de brevets. Cette « protection » des innovations serait même contreproductive, l'imitation favorisant souvent l'adoption de standards. Enfin, les brevets logiciels, de par le système biaisé des offices de brevets, ne garantissent pas non plus une évaluation des actifs immatériels de l'entreprise.
Le seul intérêt pour une PME de déposer un brevet logiciel sur ses inventions pourrait être de faire ce dépôt avant qu'un de ses concurrents ne le fasse, auquel cas le développement de sa technologie serait bloqué. Mais, on pourrait alors objecter qu'il suffit à une entreprise de publier le plus tôt possible le résultat de ses recherches et développements pour invalider tout brevet déposé ultérieurement par un concurrent, objectant ainsi le critère de nouveauté au demandeur de brevet. Mais, la preuve de cette antériorité étant tributaire d'une décision de justice, le coût et l'incertitude sur l'issue d'un procès empêche la plupart du temps les PME de faire valoir ce droit.
Qui plus est, les impacts sociaux ou sociétaux du système de brevets logiciels compromettent grandement l'avenir de la diffusion universelle des idées et l'évolution positive du savoir qui devrait contribuer au patrimoine de l'humanité.
Nous en concluons donc que les PME de l'industrie du logiciel ont tout intérêt à afficher une position allant à l'encontre de toute légalisation des brevets logiciels.
Une mobilisation des PME et de tous les acteurs du monde informatique - et plus globalement de la société civile - est d'autant plus urgente en ce moment. En effet, le 17 juin 2003, la commission du Parlement Européen chargée des Affaires Légales et de la Justice a adopté un rapport légalisant de fait les brevets logiciels, en refusant les amendements proposés par la commission à l'Industrie et celle aux Affaires Culturelles, en ignorant l'avis du Conseil des Régions de l'Union Européenne, du Conseil Économique et Social de l'Union Européenne, du Gouvernement Français, de la Chambre de l'Industrie et du Commerce Allemande, de la Commission sur le Monopole Allemande, de la Commission sur la Propriété Intellectuelle du Gouvernement Britannique, de nombreuses études économiques - y compris celles commandées et payées par cette même commission parlementaire aux Affaires légales et à la Justice -, de 94% des participants d'une consultation de l'Union Européenne sur le sujet, de 400 entreprises et de deux pétitions rassemblant près de 140 000 signataires.
Cette même commission à la Justice a même tenté d'avancer le vote du parlement, devant entériner ce rapport, au 30 juin 2003, ce qui aurait privé les opposants à la brevetabilité du logiciel du temps nécessaire pour mener une campagne d'information efficace auprès des députés européens. Finalement, ce vote est programmé pour le mois de septembre 2003.
Pour terminer, il nous faut expliquer l'intitulé de cet article : « la face non-patente des brevets logiciels ». Le discours habituel - patent15 - à propos des brevets logiciels est porté par des experts en « propriété intellectuelle » qui ont des intérêts en la matière, comme l'exprime parfaitement Richard Matthew Stallman - fondateur de la Free Software Fundation et du projet GNU - dans la citation qui ouvre le présent article.
Ainsi, cet article contribue - nous l'espérons - à apporter une lumière sur cette face soigneusement cachée des brevets logiciels. Peut-être pouvons-nous oser la métaphore de Dracula - dont la puissance dévastatrice s'évanouit au contact de la lumière du jour - comme cela avait été fait en 1998, lorsque l'Accord Multilatéral sur l'Investissement16, avait pu être contré par une campagne d'information de la part du mouvement altermondialiste naissant.
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